Par Sophie Dionisi, Lycée Bel Orme

Le parcours est plus important que le discours

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La pédagogie par l’expérience totale

Les transformations environnementales s’accélèrent. Évidence explicite que nous avons pris plein corps et pleine face en ce jeudi 18 novembre sur la crête de dune aux abords immédiats de la plage de La Salie Nord.

Nous voulions observer l’état des lieux de la ligne littorale et la relation dune-plage-baïne-barre sous-marine. Nous voulions expliquer les évolutions et modèles intellectualisés des mouvements littoraux se déroulant sur plusieurs mois, plusieurs années.

Mais de fait, le contexte climatique de ce jour était plus ambitieux que nous. Nous avons éprouvé physiquement les flots de la nature, subi en instantané les flux de puissance d’une atmosphère qui par à-coups de plus en plus fréquents et intenses alerte sur notre précarité, notre vulnérabilité, particulièrement aigues en zones littorales.

La pédagogie par l’expérience totale, le curseur tourné vers le maximum de l’intensité, vaut tous les discours et les modèles qu’ils soient mathématiques ou conceptuels. Les mots n’étaient plus nécessaires, inutiles même, voire de trop.

Je dis souvent qu’en terme de pédagogie de l’environnement, le parcours est plus important que le discours. Don’t act.

l’impossibilité du retour à l’état initial

Avant ce choc des évidences, nous avions traversé les vestiges de la forêt de pins calcinés. Décor lunaire après l’apocalypse des feux de l’été 2022. La résilience suppose le cauchemar préalable. Et la douceur du mot résilience relate mal les ressentis au stade du début d’une démarche qui dans ce cas, comme dans bien d’autres, passe par l’acceptation abrupte de l’impossibilité du retour à l’état initial, de la perte définitive des paysages, de leur biodiversité, des espaces tels qu’ils étaient.

La résilience est l’idée d’une reconstruction lente avec un objectif obligatoirement et matériellement plus réduit. Seule la force de l’esprit peut prétendre qu’il n’y aura pas d’appauvrissement, même au bout du processus, si bout il y a.

Après avoir passé les dunes blanches et grises, la plage est apparue comme un plateau argenté, aplani par les marées et le ressac des vagues. La beauté d’un paysage en mouvement n’est pas toujours associée à la contemplation immobile et confortable. Nous étions immergés dans la beauté piquante de notre côte atlantique. La dune abrupte avait été clairement incisée par les hautes marées précédentes accentuées par la force de la houle. Le sable scintillait sous le soleil tamisé d’une matinée un brin brumeuse. Et le vent du large s’opposait fermement à nos mouvements, nous obligeant à négocier avec son appui pour sauvegarder notre équilibre.

le souffle court et les jambes en feu

Mais ce n’était qu’un avant-gout de ce que nous allions éprouver dans l’après-midi au sommet de la plus haute dune d’Europe, la dune du Pyla. L’ascension initiale de ce mur de sable accélère le rythme cardiaque et asphyxie les ischios et les mollets. Ces quelques dizaines de mètres de hauteur brute ne préfigure en rien le paysage que cache la dune, le tableau des passes du bassin d’Arcachon, sans cesse éclairé par de nouvelles lumières. Mais dans la fatigue des derniers mètres, le souffle court et les jambes en feu, nous avons été assaillis par les bourrasques de sables, soulevées en nuées piquantes, s’infiltrant dans les vêtements, dans la bouche et dans les yeux. Le paysage était en mouvement, intense, signifiant. Le sable montait la dune en trombes régulières et se jetait sur la forêt intérieure déjà meurtrie par les feux de l’été 2022.

Il n’y avait définitivement plus rien à dire. Rien ne pouvait être plus explicite que la dune en mouvement réel. En direct, la démonstration était faite. Une fois que le spectacle nous avait suffisamment éprouvés, notre place n’était plus là. Nous n’avions plus qu’à nous retirer. Et laisser la dune continuer à se métamorphoser légèrement sous l’épreuve de cette tempête Frederico. Nous reviendrons plus tard en voir le résultat final et le restituer en intellectualisations pédagogiques et culturelles.